mercredi 15 mars 2023

Le pigot



Si c'est au jeu des ricochets que Brassens était "de première force", moi c'était au lance-pierres, que nous appelions "pigot" dans notre région.

J'en maîtrisais à la perfection la fabrication et le tir. Le tir c'est une affaire de géométrie, de perpendicularité, d'équerrage, de point fictif de visée. La conjugaison de ces trois paramètres n'est pas aussi aisée qu'il n'y paraît. Pour la fabrication je choisissais tantôt une fourche de noisetier, tantôt une fourche d'orme (aujourd'hui disparus). C'est dans ce bois très dur que je fis mon dernier pigot. En montant sur la roche qui est derrière notre maison, je l'avais repéré dans la futaie ce "V" parfait, ni trop écarté ni trop rapproché, au diamètre des branches régulier. Muni d'une petite scie je l'avais découpé grossièrement puis, redescendu, j'avais évalué les proportions, ramené la fourche aux dimensions idéales du pigot. Ensuite, avec mon Opinel, j'avais creusé les entailles dans lesquelles j'irai plus tard fixer, avec de la ficelle de boucher, les extrémités du lanceur, une bande de caoutchouc prélevée dans une vieille chambre à air de vélo. 

Le résultat fut magnifique, proche d'une œuvre d'art.   

Très vite je l'essayais, sur des boites de conserves, des canettes vides dont je repoussais, après chaque nouvel impact, l'éloignement de quelques mètres. Il était d'une précision redoutable, faisait ma fierté d'enfant.

En une belle fin de journée d'été, j'étais dans le jardin, parcourant une BD. Délaissant ma lecture, je levais les yeux vers les hirondelles qui piaillaient, se regroupant sur les fils électriques (aujourd'hui enterrés) qui passaient devant notre maison, longeant le muret qui borde la route. Elles étaient encore nombreuses à cette époque, nichant dans les granges, les hangars ouverts à tous les vents. Elles venaient de passer la journée à arpenter les cieux, se racontaient des histoires d'hirondelles avant la nuit, faisaient comme les notes de musique d'une partition sur les câbles. Je me suis levé. Je suis allé chercher le pigot. J'ai tiré sans trop y croire. Elle était si petite... Mais j'ai vu une note de musique décrocher, tomber et disparaître derrière le muret. J'ai passé la porte qui donne sur la rue. Là, aux pieds de liserons sauvages, je l'ai vue. Je l'ai prise dans ma main. Elle était encore chaude, sa tête toute désarticulée, l’œil fermé.

Je suis resté un long moment, incrédule, triste, désemparé.

A partir de ce jour je n'ai plus jamais fabriqué ni tiré au pigot.





13 commentaires:

  1. Quel joli texte, Fredi ! Gageons qu'il va nous remettre l'Oncle Jacques en selle !

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  2. " Mais j'ai vu une note de musique décrocher, tomber et disparaître derrière le muret. J'ai passé la porte qui donne sur la rue. Là, aux pieds de liserons sauvages, je l'ai vue. Je l'ai prise dans ma main."

    J'en ai le souffle coupé...

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    1. C'est exactement cela : on en a le coeur serré !

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    2. Oui mais je crois que nous avons affaire à Léon en train de se ficher ma tête... 🙄

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    3. Non, je ne suis pas Léon.

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  3. Faute avouée est aux 9/10 pardonnée. j'ajoute les 10% restants depuis mon compte personnel..
    .

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    1. Ah ben tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes alors ! ☺️

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  4. Comme le disent Mildred et Anonyme, ce billet fend le cœur -en même temps qu'il rappelle de nombreux souvenirs.

    Quant à l'usage du pigot, l'essentiel est de ne pas se tromper de main à la décharge (ne riez pas cher Fredi, c'est ce qu'a fait l'une de mes tantes ; la pauvre, une analyse n'a pas suffi à la soigner, et elle est devenue psy !)

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    1. Aïe ! Ça doit faire mal dites-moi ! J'ose même pas imaginer...

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  5. C'est impardonnable de tuer un petit zwazo qui ne fait de mal qu'aux insectes qu'il gobe tout crus au passage ! Vous finirez en enfer ! Le texte est très beau en dehors de l'inconséquence qu'il révèle. Il était logique que votre action et votre habileté entraînent la mort d'une créature du Bon Dieu.

    Votre emploi du terme "pigot" me rappelle que dans la Vienne je l'ai entendu désigner le lance-pierre d'un cousin de ma première épouse.

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Lâchez-vous ! Mais en gens bien élevés tout de même...