Les montagnes étaient notre salut car leur silence murmurait plus de réponses que toutes les inventions humaines.
Louis Meunier, "Si haute soit la montagne".
C'est un bien beau livre que je viens de refermer : "Si haute soit la montagne", de Louis Meunier.
C'est un recueil de neuf nouvelles qui ont pour cadre principal les montagnes d'Afghanistan. Certaines sont bouleversantes, troublantes, toutes profondément humaines et poétiques. Elles sont écrites dans un style que je qualifierais de "brut", dénudé de toutes fioritures, minéral comme les steppes ou les montagnes de l'Asie Centrale. Un style qui, s'il s'agissait d'art pictural, se rapprocherait des peintures que nos ancêtres préhistoriques nous ont laissé sur les grottes qu'ils habitaient.
Ma vie était simple, j'étais heureuse et ne manquais de rien, comblée par ce que la montagne m'offrait. Deux hivers et deux étés, j'ai sillonné mon territoire en écrivant mon existence comme une déambulation entre crêtes et forêts, jouissant de la solitude avec un bonheur chaque fois renouvelé. Au troisième hiver, je me suis soudain sentie seule. Un vide terrible s'est creusé à l'intérieur de mon ventre, comme s'il me manquait quelque chose pour être complètement. Moi si solitaire, je n'avais jamais rien éprouvé de tel. Une nuit de pleine lune, je me suis postée au sommet d'un piton rocheux et j'ai appelé. J'ai commencé par pousser une plainte timide, puis j'ai crié ma solitude avec de longs hurlements, déchirant l'air dans les quatre directions pour que le ciel m'entende. Les jours suivants, j'ai déposé mon odeur sur les rochers, puis j'ai attendu. J'ai attendu jusqu'à ce que la lune se réduise à un croissant minuscule, et enfin il est apparu. Le ciel avait entendu ma prière.
"Histoire d'amour", Si haute soit la montagne.
Amis blogueurs qui passez par ici, n'hésitez pas à vous procurer ce petit chef-d'œuvre : en ces temps méphitiques, l'air des montagnes ne pourra vous faire que du bien.
Plus d'informations sur l'auteur ICI.
Hier ma belle et moi sommes allés voir l'exposition "Boldini" au Petit Palais.
Boldini, contemporain de Proust qui l'admirait, nous décrit par ses peintures une époque aujourd'hui révolue, une époque d'avant la grande catastrophe, du désastre de 14, celle aussi de l'élégance et des mondanités. Est cité à un moment du parcours un article du Figaro de l'époque, hélas trop incomplet, où l'auteur dit que "Boldini est le peintre de nos névroses.
Quelles étaient ces névroses ?
Nous ne le saurons pas.
J'aurais aimé en savoir plus des névroses de cette époque...
Peut-être étaient-elles celles d'une minorité de parisiens, courant les derniers
salons à la mode, les fêtes les plus grandioses, voire les meilleures partouzes, le bon peuple faisant comme toujours, loin de ces frivolités de lui ignorées, "bouillir la marmite". La fête n'était certainement pas pour tout le monde, et elle n'allait pas tarder à prendre fin.
Dans l'une des salles de l'exposition on découvre, comme pour donner du corps à ce que nous venons de voir, les robes que portaient "ces belles dames du temps jadis". Et on les imagine très bien, rentrées à point d'heure, trempées de sueurs rances, se débarrasser de leur fardeau vestimentaire dans un "ouf" de soulagement.
Nous avons terminé la visite sous les colonnades du jardin de ce Petit Palais décidément magnifique. Et je me suis fait la réflexion que Boldini aurait pu nous peindre, ma belle et moi devant un verre de vin, dans ce décor luxueux. Sans chapeau claque et canne à pommeau, ou lourde robe et ombrelle, nous aurions fait malgré tout d'excellents modèles.
D'ailleurs qui sait ce qu'il se passe dans ces jardins, quand le musée est fermé et ses espaces privatisés, que la bonne société d'aujourd'hui s'y retrouve en oubliant les gilets-jaunes et autres sans-dents ? En dehors de quelques détails vestimentaires, tout a-t-il vraiment autant changé que du temps de Boldini ?
Voilà un an que tu es mort "P.", un an que je n'arrive pas à me faire à cette idée.
Je crois qu'il ne se passe pas une seule journée sans que ton souvenir s'impose à moi, sous la forme fugitive d'une image, en lisant un texte qui t'aurait fait rire, en pensant aux événements actuels dont tu aurais été intarissable d'analyses, en cette veille d'élections aussi.
Je te revois à "S", tes yeux bleus de savoyard levés au ciel, cherchant les mots pour la suite d'une idée, d'une démonstration à compléter, à parfaire, je te revois enduisant tes coudes rongés par le pso d'une crème apaisante. Quand tu t'assoupissais, vaincu par le verre de trop, on s'ennuyait déjà.
Sais-tu qu'il m'arrive encore de te parler, la nuit, en rêves ?
L'autre jour, dans la rue près de chez moi, j'ai suivi un homme qui, de dos, avait tout de toi, de ton imposante silhouette, même sa démarche un peu lourde était la tienne. Il a tourné dans la rue de Charenton. Ainsi donc désormais tu habites rue de Charenton ? Et tu ne m'en as rien dit ?
Parfois les gens vous disent qu'ils ont deux ou trois amis. Je crois qu'ils mentent ou qu'ils se leurrent.
Quand la vie vous en fait le cadeau d'un seul, c'est déjà un miracle.
Non, non..., non.
Non, en ce début de ramadan, je ne me suis pas converti à l'Islam.
C'est ma belle...
Dans notre longue coexistence, c'est la deuxième fois qu'elle me fait le coup de la Grande Mosquée de Paris. La première, ce fut il y a bien longtemps à l'occasion de l'un de mes anniversaires de la trentaine. À cette époque nous avions un rituel quand l'un ou l'autre cochait une année supplémentaire : celui du resto-mystère. L'élu du jour se laissait guider vers une adresse inconnue des deux, choisie pour telle ou telle particularité. C'est ainsi par exemple que nous découvrîmes le Procope et bien d'autres lieux insolites. J'ignore pourquoi nous avons renoncé à cette sympathique tradition. L'usure du temps sans doute, comme pour le reste... Mais, en ce mois de juillet de cette année-là, elle m'avait emmené du côté de Censier et de la rue Buffon, à la Grande Mosquée donc.
- tu aimes le couscous ?
- tu le sais bien : j'adore ça !
- alors voilà (nous étions arrivés devant l'édifice) nous allons essayer celui de la Grande Mosquée ! Il paraît que c'est l'un des meilleurs de Paris (ce qui s'avéra pas tout à fait vrai, mais passons). Pas mal comme idée non ?
- parfait, parfait, génial, j'adore !
Nous nous installâmes dans l'une des courettes. L'air était saturé d'une odeur de thé à la menthe. Un serveur vint nous porter les menus et ma belle passa commande :
- Un couscous brochettes et un royal SVP. Elle marqua une courte pause puis enchaîna : "Tu veux un gris de Boulaouane avec ça ?"
- parfait, parfait, génial...
Mais le serveur me coupa :
- Pardon, mais nous ne servons pas d'alcool ici, c'est une mosquée comme vous savez. En revanche, nous avons un excellent thé à la menthe.
Jamais je n'avais eu d'anniversaire aussi sobre, mais je crois bien me souvenir qu'à la fin du repas nous nous jetâmes dans le premier bar venu pour réparer la bévue.
À la mosquée aujourd'hui, nous n'y étions pas pour faire bombance, mais en visiter les jardins, que ma belle supposait fort beaux. Ce fut un peu décevant : nous les avions imaginés beaucoup plus grands. De plus, toutes les fontaines étaient à l'arrêt, les petits plans d'eau asséchés.
La visite fut donc brève, et nous repartîmes vers Austerlitz via le jardin des Plantes, sans même avoir pris un thé à la menthe : les fameuses courettes étaient bruyantes, emplies d'une jeunesse boboisée.
J'ai bien peur qu'il n'y ait jamais de troisième fois...