On s'est aimé comme on se quitte
Tout simplement sans penser à demainÀ demain qui vient toujours un peu trop vite
Aux adieux qui quelquefois se passent un peu trop bien
Je l'ai déjà dit ailleurs, un autre jour, quand je termine un livre de Houellebecq j'éprouve une sensation de manque. C'est ce qui c'est inévitablement produit après avoir refermé "anéantir". J'ai donc retrouvé dans ce qui me sert de bibliothèque "Sérotonine", livre à peu près, en tout cas suffisamment, oublié de ma mémoire. Toutefois je me souvenais d'un passage qui avait eu le don de m'émouvoir. Mon côté fleur-bleue sans doute... D'ailleurs à ce propos il m'arrive de penser que j'ai raté ma vocation : j'aurais dû être écrivain. Un écrivain de romans de gares, de ces livres que les jeunes filles achètent pour faire paraître moins long le voyage. Je crois que j'aurais excellé dans ce domaine, que j'aurais fait de l'ombre à Marc Lévy et autres Musso (des auteurs injustement snobés mais leurs comptes en banque s'en foutent, et Musso est invité à "La Grande Librairie", c'est dire). Et puis quoi ! Qui y'a-t-il de plus gratifiant que de faire passer un bon moment à une femme, je vous le demande ?
Voici le passage en question:
La dernière photo que j'ai de Kate doit être quelque part dans mon ordinateur mais je n'ai pas besoin de l'allumer pour m'en souvenir, il me suffit de fermer les yeux. Nous venions de passer les fêtes de Noël chez elle, enfin chez ses parents, ce n'était pas Copenhague, le nom de la ville m'échappe, quoi qu'il en soit j'avais eu envie de revenir en France lentement, par le train, le début du voyage était étrange, le train filait à la surface de la mer Baltique, deux mètres seulement nous séparaient de la surface grise des eaux, parfois une vague plus forte que les autres venait frapper les hublots de notre habitacle, nous étions seuls dans la rame au milieu de deux immensités abstraites, le ciel et la mer, je n'avais jamais été aussi heureux de ma vie et probablement est-ce que ma vie aurait dû s'arrêter là, une lame de fond, la mer Baltique, nos corps définitivement mêlés, mais ceci ne se produisit pas, le train atteignit sa gare de destination (était-ce Rostock ou Stralsund ?), Kate avait décidé de m'accompagner quelques jours, sa rentrée universitaire commençait le lendemain mais elle allait s'arranger.
La dernière photo que j'ai de kate est prise dans le parc du château de Scherin, petite ville allemande, capitale du land de Mecklembourg-Poméranie Occidentale, et les allées du parc sont recouvertes d'une neige épaisse, au loin on aperçoit les tourelles du château. Kate se retourne vers moi et me sourit, j'ai probablement dû lui crier de se retourner pour que je la prenne en photo, elle me regarde et son regard et plein d'amour, mais aussi d'indulgence et de tristesse parce qu'elle a probablement déjà compris que je vais la trahir, et que l'histoire va se terminer.
Le même soir nous avons dîné dans une brasserie de Schwerin, je me souviens du serveur, quadragénaire maigre, nerveux et malheureux, probablement ému par notre jeunesse et par l'amour qui irradiait de notre couple et à vrai dire surtout d'elle, le serveur qui avait carrément interrompu son service, les assiettes une fois posées, pour se tourner vers moi (enfin vers nous deux mais surtout vers moi, il devait avoir senti que j'étais le maillon faible) pour me dire en français (il devait être français lui-même, comment un Français avait-il pu se retrouver serveur dans une brasserie de Schwerin, la vie des gens est un mystère), enfin pour me dire avec une gravité inhabituelle, sacrée : "Restez comme ça tous les deux. Je vous en prie, rester comme ça."
Nous aurions pu sauver le monde, et nous aurions pu sauver le monde en un clin d'œil, in einem Augenblick, mais nous ne l'avons pas fait, enfin je ne l'ai pas fait, et l'amour n'a pas triomphé, j'ai trahi l'amour et souvent quand je n'arrive plus à dormir c'est-à-dire à peu près toutes les nuits je réentends dans ma pauvre tête le message de son répondeur, "Hello this is Kate leave me a message" , et sa voix était si fraîche, c'était comme plonger sous une cascade à la fin d'une poussiéreuse après-midi d'été, on se sentait aussitôt lavé de toute souillure, de toute déréliction et de tout mal.
Les dernières secondes eurent lieu à Francfort, dans la gare centrale, la Frankfurter Hauptbahnhof, elle devait cette fois vraiment rentrer à Copenhague, ses obligations universitaires elle avait quand même exagéré, enfin elle ne pouvait en aucun cas m'accompagner à Paris, je me revois debout à la portière du train, et elle sur le quai, on avait baisé toute la nuit et jusqu'à onze heures du matin jusqu'à ce qu'il soit vraiment l'heure d'aller à la gare, elle m'avait baisé et sucé jusqu'à la limite de ses forces et ses forces étaient grandes moi aussi à l'époque je rebandais facilement enfin à vrai dire la question n'est pas là, elle n'est pas essentiellement là, elle est surtout que Kate, à un moment donné, debout sur le quai, s'est mise à pleurer, pas vraiment à pleurer, quelques larmes ont coulé sur son visage, elle me regardait, elle m'a regardé pendant plus d'une minute, jusqu'au départ du train, son regard n'a pas quitté le mien une seule seconde et à un moment donné, malgré elle, des larmes se sont mises à couler, et je n'ai pas bougé, je n'ai pas sauté sur le quai, j'ai attendu que les portes se referment.
Pour cela je mérite la mort, et même des châtiments beaucoup plus graves, je ne peux pas me le dissimuler : je terminerai ma vie malheureux, acariâtre et seul, et je l'aurai mérité. Comment un homme, l'ayant connue, pouvait-il se détourner de kate ? C'est incompréhensible. J'ai fini par l'appeler, après avoir laissé je ne sais combien de ses messages sans réponse, et tout ça pour une immonde Brésilienne qui allait m'oublier dès le lendemain de son retour à Sao Paulo, j'ai appelé kate et je l'ai appelé exactement trop tard, le lendemain elle partait en Ouganda, elle s'était engagée dans une mission humanitaire, les Occidentaux l'avaient déçue forcément, mais moi en particulier.
"... j'aurais dû être écrivain. Un écrivain de romans de gares, de ces livres que les jeunes filles achètent pour faire paraître moins long le voyage."
RépondreSupprimerEn tout cas les poncifs (sexistes au demeurant) ne vous font pas peur ; et Houellebecq appréciera d'avoir, par l'extrait ici cité, réveillé votre aspiration ancienne et déçue à la "littérature de gare". Les blogs ("masculins") n'ont qu'un mérite : celui d'exhaler sans fard la testostérone fatiguée de leurs auteurs. Parfois de charmants papillons s'y laissent attirer.
Allons, allons Léon... Il n'y a rien de sexiste dans cette phrase.
SupprimerMais vous avez raison sur un point : il y a un aspect "littérature de gare" dans ce passage houellebecquien.
Sinon sachez que je ne vais plus depuis longtemps à la chasse aux papillons, je me contente de mes souvenirs.
... et parfois on y trouve des beaux textes.
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Supprimer... et parfois on y trouve des beaux textes.
Tant que vous n'employez pas l'imparfait...
Devenir auteur de romans de gare (autrement dit : écrivain en bâtiment…) n'est nullement une vocation : c'est un métier. Il demande quelques grandes et précieuses qualités, comme :
RépondreSupprimer– un manque total d'ambition,
– une médiocrité soigneusement maîtrisée,
– l'absence de toute illusion sur son "lectorat",
– une grande agilité et une aussi grande endurance des doigts sur le clavier,
– une avidité financière primant toute autre considération,
– etc.
Oui, oui...
SupprimerMais enfin ça vaut toujours mieux que de pointer au chômage ! ��
Il est certain que si un admirateur de Proust voulait se lancer dans la Recherche de son propre Temps perdu, et qu'il ne puisse aligner ni duchesse, ni comte, ni marquis, aucune jeune fille en fleur, même pas un domestique, et pas le moindre musicien auteur ne serait-ce que d'une "petite phrase", les choses doivent être très difficiles.
SupprimerÇa ressemble à une vacherie à destination de M. Goux.
SupprimerJ'me trompe ? 🤔😄
@Fredi
SupprimerHors sujet, vous mettez quoi pour avoir des emoticons dans les commentaires?
J'avais essayé un copier-collé d'un emoticon existant dans mon dernier commentaire, ça semblait OK à la visualisation mais au final ça a merdé comme ça: ��
Mon téléphone en a toute une galerie à ma disposition 🐘🍄🌍🏈👔🚻🇺🇦
SupprimerOui, Fredi, vous vous trompez ! Je voulais simplement signaler que les raisons que Monsieur Goux invoque, pour expliquer pourquoi il s'est cantonné au roman de gare, ne sont peut-être pas les bonnes !
SupprimerDites-moi Mildred : je lis vos commentaires chez JE où vous évoquer vos souvenirs, et je me dis qu'ils mériteraient d'être racontés sur un blog. En avez-vous un ?
SupprimerSuis pas plus avancé par votre gallerie: ����������������
SupprimerQui ne passe pas au copier-collé. :-)
Bah...
SupprimerVous ferez sans et pis c'est tout... 😂😄😁🤭😐
Mon préféré, c'est Paulo Coehlo...
RépondreSupprimerJ'avais entendu dire qu'il écrivait de l'érotisme, mais c'est de l'ésotérisme. Mais c'est bien aussi.
Érotisme /ésotérisme, eh ben dites moi mon cher bedeau c'est ce qui s'appelle faire le grand écart ! 😊
SupprimerA votre dernière question la réponse est non ! Il se trouve que chez moi, l'écrivain c'est ma petite soeur.
RépondreSupprimerVous trouverez son blog sous : Lika Spitzer.
Vous trouverez ses bouquins sous : Lika Launay-Spitzer. Certains sont en ligne.
Et voilà la promesse qui lui a été faite par le magazine Le Paresseux du Club des Poètes, et non tenue à ce jour :
"Rassurez-vous, le Paresseux n'oublie pas les femmes !
Le troisième livre des éditions du Paresseux sera Le tournesol de Davos, de Lika Launay-Spitzer, le récit, en multipliant les fragments narratifs, d'une enfance entre Vienne, Shangaï et Nice. Petit bijou ! Parution avec Le Paresseux n°35, en avril 2016."
Je crois que certains textes du Tournesol de Davos sont en ligne.
D'accord !
SupprimerJe vais voir ça !
Le dernier billet est bien triste...
SupprimerLe poète n'a-t-il pas dit : "Les plus désespérés sont les chants les plus beaux" ?
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