samedi 19 mars 2022

L'artiste qui dort en moi

 

Aujourd'hui nous nous levâmes d'assez bonne heure ma belle et moi, je veux dire pour un samedi.

Il s'agissait d'honorer un cadeau que nos fistons nous avaient fait à Noël dernier, ce que nous ne pouvions faire sans la levée des restrictions sanitaires, à savoir participer à un atelier de dessin au Musée Cognacq-Jay. L'invitation précisait "samedi 19 mars, 10h01", ce qui était assez cocasse. Le cours durait trois heures et il nous fallait reproduire, à la pierre noire ou au crayon de papier, une lithographie en noir de Louis Boilly (moi non plus).

Je choisis la pierre noire, qui est douce et caressante sur le papier. 

Je ne dirai pas, en ces temps belliqueux, que l'exercice fut pour moi un supplice ou une torture, ce serait déplacé, inconvenant. Mais, s'il y a un artiste qui sommeille en moi, ces trois heures ne l'auront pas révélé : il dort encore profondément. Je fis les yeux trop en amande, les ombres aux mauvais endroits et, sous mon crayon, Johann Théodor Susemihl (moi non plus), notre sujet d'études, prit des traits efféminés, qu'il me pardonne.

Nous sortîmes à 13h01, pour être raccord avec l'invitation. Dire que j'étais soulagé est un exemple parfait d'euphémisme. Nous partîmes dans les rues encore fraîches du Marais à la recherche d'une terrasse ensoleillée. N'en trouvant pas, nous poussâmes jusqu'à Châtelet par la rue de Rivoli et trouvâmes notre bonheur à l'angle des quais et du Théâtre du Châtelet. Il y avait un peu d'animation sur la place, une sono diffusait des airs africains : une manifestation contre les violences policières commençait à prendre forme. Un manifestant passa avec un drapeau qui proclamait "Vive la commune !" suivi d'un autre qui affirmait "Refugees Welcome !". Nous avions commandé des moules-frites et du chardonnay et nous étions bien, face au soleil, avec devant nous la cathédrale en rénovation, quand soudain une dizaine de fourgons de CRS vinrent se garer le long du trottoir, bouchant notre horizon. 

Le printemps, c'est (lapalissade) le moment des éclosions comme je le disais hier encore, de toutes les éclosions et les manifestations n'échappent pas à la règle, même s'il est vrai qu'on y a droit un peu toute l'année. Je parle d'éclosions comme je pourrais parler de crises d'herpès ou d'urticaire, mais c'est moins poétique. En tout cas je suis à peu près certain que chaque quartier de Paris aujourd'hui devait avoir la sienne. Ce sont comme des répétitions en vue du joli mois de mai.

Après avoir pris congé de ma belle qui avait des achats à faire, je remontais Le Bd Saint-Michel. À la hauteur de la Sorbonne, il y avait de nouveau du bruit. En fait il s'agissait de quelques cadres de la macronie qui motivaient leurs jeunes troupes de "tracteurs". Je reconnus là Gilles Legendre, d'une blancheur cadavérique, Emanuelle Wargon, Avia, toute souriante, qui me fit penser à la vache qui rit, mais en noir (je ne suis pas certain de l'orthographe des blazes, mais ne comptez pas sur moi pour aller vérifier). Tracter sur le Boul'Mich et Saint-Germain-des-Prés quand on est à LaREM c'est un peu porter le fer en terrain conquis je trouve... Mais enfin, c'était somme toute assez compréhensible ce rendez-vous place de la Sorbonne : en les observant, je me fis la réflexion qu'ils avaient tous des airs de vieux soixante-huitards. Je suis sûr que dans leur pedigree, ils cochent tous la case UNEF puis la case "Parti Socialiste". Mais là encore je m'en contre-pignole et n'irai pas vérifier mes supputations. La macronie quoi qu'on en dise est bien le refuge des anciens de la rue de Solférino (la preuve : le PS officiel est à 2%), comme il tend à devenir celui des LR désabusés ; un attrape-mouches quoi, un gros machin qui ratisse du centre-droit au centre-gauche. Autrefois, avant la fusion toute honte bue, on appelait ça l'UMPS.

J'ai continué et mon Dieu qu'il est raide ce faux-plat qui monte jusqu'à Denfert. Il vous nique vos dernières énergies, comme ça, sournoisement, pas après pas. 

Devant La Closerie des Lilas il y en avait encore une autre de manifestation. Mais alors une micro-manifestation si on peut dire, 20-30 personnes, pas davantage et en comptant large, qui étaient là pour dire leur opposition à l'avortement. Un avorton de manifestation en somme, un embryon. Un vieux dans un mégaphone chantait un hymne à Marie. Je pris une photo. C'est alors qu'une jeune fille s'avança vers moi et me tendit un bout de papier. Comme je déclinais l'offre, elle me dit : "vous avez bien pris une photo, alors acceptez ça SVP". Je n'allais pas contrarier cette pauvre fille, engagée dans des combats perdus depuis longtemps, vestige malgré sa jeunesse d'une chrétienté vacillante.

Plus loin je lus ces mots sur le bout de papier en question :

"Ce qui autrefois était un crime est devenu la norme. Nos parents, nos grands-parents étaient-ils fous ?"

Qu'auriez-vous répondu à ça ? Que c'est le progrès peut-être, et que rien n'arrête le progrès. Ce qui est faisable sera fait. Aux chiottes l'éthique !

Enfin j'atteignis le Lion : j'étais quasi chez moi.


15 commentaires:

  1. Et rien en faveur de nos amis ukrainiens, dans tout ça ?

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    1. Ça devait bien avoir lieu quelque part dans Paris...
      Mais je ne peux pas être sur tous les fronts ! 🥴

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  2. Et si en fait, l'artiste qui est en vous, ne dormait que d'un oeil ?

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    1. Vous croyez ? Depuis l'temps ça se saurait... 😢

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  3. Attendons l'avis des "instances littéraires" !

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  4. Vous dessinez mal peut-être , mais vous écrivez bien, c'est déjà pas mal...

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  5. « Il s'agissait d'honorer un cadeau que nos fistons nous avaient fait à Noël dernier, […] à savoir participer à un atelier de dessin au Musée Cognacq-Jay. »

    Mais qu'avez-vous donc fait subir dans le passé à votre progéniture pour qu'elle en soit venue à vous détester à ce point ?

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    1. Oui hein ! On se le demande... Je ne méritais pas ça... 😁

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    2. Eh bien, vous voilà fixé : vous avez un très joli talent pour la narration !

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    3. Oui mais ça j'y suis pour rien c'est inné.... 🤭🤭😄😌

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  6. Un faux plat plutôt raide entre le Boul'Mich et Denfert ... Dans ma campagne lointaine je croyais que la mairie de Paris avait mis à disposition des habitants qui avaient forcé sur le Chardonnay des bicyclettes électriques qui donnaient l'impression de vivre dans un pays en pente douce.

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    1. Oui d'accord, mais l'exercice, vous en faites quoi ? Faut bien faire "passer" les moules !
      Et puis je répugne à ces engins électriques...

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Lâchez-vous ! Mais en gens bien élevés tout de même...