Je voudrais, en commençant ce billet, remercier M. DIDIER GOUX, qui dans le sien s'amuse du glissement progressif de nos expressions coutumières. C'est lui qui, avec ses soupers et ses diners, m'a remis en mémoire des lectures anciennes, celles du docteur Francus, qui de son vrai nom s'appelait Albin Mazon et était plus journaliste que docteur. J'ai, comme on le sait, un tropisme particulier pour le Vivarais. Le livre que j'avais en mémoire est quelque part ici, dans ce foutoir qu'est notre maison. Mais où ? Heureusement Internet a plus de mémoire que moi. Et c'est miraculeusement que j'ai retrouvé "en ligne" les écrits du docteur Francus. Par son érudition, son humour, ses références historiques, le bon docteur Francus est bien plus qu'un écrivain régionaliste : au-delà de sa région, il nous parle d'un pays qui s'appelait "la France". C'est plus précis et plus documenté que du Zola, ça se lit comme un roman, mais c'est aussi un précieux documentaire.
Amis lecteurs de ce blog, EN SUIVANT CE LIEN, c'est plus qu'un cadeau que je vous offre, c'est un trésor que vous pourrez découvrir en allant sur "publications" puis "lire en ligne".
Si lire c'est aussi voyager, alors soyez assurés que vous ferez un beau voyage, et que l'humour du bon docteur Francus ne sera pas en reste.
En voici un extrait, tiré de "Voyage dans le midi de l'Ardèche", "Études des mœurs locales" :
Voici, docteur, continua Pélican, une question qui vous intéressera davantage. Pour être chirurgien, il faut aujourd’hui des années d’études. On le devenait autrefois à meilleur compte. Il suffisait d’un apprentissage, comme pour devenir cordonnier ou charpentier, s’il faut en juger, du moins, par l’acte suivant que j’ai relevé dans les vieilles minutes de maître François Cade, notaire royal à Gravières au siècle dernier. Oyez plutôt :
« L’an 1750 et le vingtième jour de mars, devant moi notaire et témoins bas-nommés… a été présent en sa personne sieur Guillaume Chevalier, habitant de la ville des Vans, lequel de son gré met et baille en apprentissage sieur Louis Chevalier, son fils, à sieur Jean Antoine Brousse, pour et au nom de sieur Antoine Gauffrès, son oncle, maître chirurgien de la ville de Nîmes, ici présent et acceptant, pour lui apprendre et enseigner tout ce qui dépend de l’art de la chirurgie, sans lui rien cacher qu’il fera pendant le temps et terme de deux ans et deux mois… moyennant le prix et somme de dix-huit livres que ledit sieur Chevalier père promet de payer audit sieur Brousse, à la St-Privat prochain, moyennant quoi ledit sieur Brousse promet de nourrir ledit Chevalier apprenti, sans qu’il soit obligé de le fournir de rasoir ni de blanchissage, et ledit sieur Chevalier père promet et s’oblige de faire travailler son dit fils au profit dudit sieur Brousse pendant ledit temps, et au cas qu’il perdît du temps par maladie ou autrement, ledit Chevalier père sera obligé de faire remplacer ce temps perdu par son dit fils au bout de son terme… »
– Il s’agit probablement ici, lui répondis-je, de l’honorable corporation des chirurgiens-barbiers lesquels, en fait de chirurgie, ne pratiquaient guère que la saignée. Au reste, il faut bien avouer que la médecine comme la chirurgie ont été pendant longtemps fort arriérées et, si l’on songe à la rareté des vrais médecins et chirurgiens autant qu’à la difficulté des communications, on comprend qu’on fût encore parfois fort heureux, au fond des provinces, d’avoir, à défaut de grives, le merle chirurgien-barbier.
– C’est pour cela, dit Pélican, qu’autrefois le moindre village avait son chirurgien. Ainsi, à Gravières, il y en avait deux avant la Révolution, et il en était de même dans les autres localités de la vallée de Chassezac, tandis qu’aujourd’hui il faut courir aux Vans ou à Villefort, d’où le savant diplômé arrive le plus souvent trop tard. Quel est, d’ailleurs, le paysan assez riche, dans mon royaume, pour faire face aux dépenses qu’exigeraient les visites d’un médecin à de si grandes distances ? Il paraît que nos anciens médecins et chirurgiens étaient véhémentement soupçonnés d’aller déterrer les morts, soit pour apprendre l’anatomie en les disséquant, puisqu’on ne pouvait pas, comme aujourd’hui, s’exercer sur les cadavres que les hôpitaux fournissent aux amphithéâtres des facultés, soit pour s’approprier leur graisse dont ils faisaient, disait-on, grand usage pour leurs médicaments.
– J’espère, dit Barbe, que cet absurde préjugé est disparu aujourd’hui.
– Moins que vous ne croyez. Une foule de paysans s’imaginent encore que les médecins attachent un grand prix à la graisse de chrétien et, il n’y a pas bien longtemps, dès qu’un mort d’un certain embonpoint avait été enterré dans ces parages, les parents et amis montaient la garde pendant la nuit au cimetière avec leurs fusils, prêts à tirer sur tout mécréant qui aurait osé venir le déterrer. C’est ce que firent notamment les habitants de Gravières, en mars 1820, lors de la mort du curé Meyrueitz. Comme c’était un homme fortement constitué et d’une belle corpulence, les autorités et les sages du pays jugèrent prudent de faire garder sa tombe pendant plusieurs nuits, par des hommes armés, de peur qu’on ne le fît servir à des onguents de graisse de chrétien. Et ne croyez pas que ceci soit une histoire inventée à plaisir, car il existe encore à Gravières des gens qui ont figuré dans cette garde nocturne. Ils furent douze, se relevant par piquets de quatre, qui se tinrent en vue du cimetière, l’arme au bras, pendant huit nuits consécutives. Les idées se sont sans doute notablement modifiées depuis ; cependant je ne vous engagerais pas, après la mort d’une personne grasse, à trop tourner autour d’un cimetière de village.
– Je me souviens, dis-je à Pélican, d’avoir entendu parler, lors de mon voyage autour de Valgorge, d’une brave femme des Assions qui jouit d’une grande réputation de guérisseuse. Est-ce qu’il y a beaucoup d’empiriques dans la contrée ?
– Comment voulez-vous qu’il n’y en ait pas, répondit-il, avec un pays si accidenté qui rend si long, si coûteux et si difficile le recours à la médecine régulière ? De même que le chirurgien-barbier était autrefois une nécessité dans tous les villages, le guérisseur ou rebouteur l’est encore aujourd’hui dans une grande partie du pays. C’est le résultat de la force des choses.
Les deux plus habiles guérisseurs sont morts : c’étaient l’abbé Maron, curé de Faugères, et l’abbé Ranc, prêtre retiré au Petit-Paris, de la famille du fameux Arthur Ranc, le député républicain actuel. Au dire des paysans, le curé de Faugères reconnaissait la maladie au premier coup d’œil jeté sur le malade. Il en était de même de l’abbé Ranc.
Le remède le plus ordinairement employé par le curé de Faugères était le cresson. Il s’en faisait une telle consommation, d’après ses ordonnances, qu’on en était venu à ne plus en trouver dans les fontaines du pays.
Intéressant !
RépondreSupprimerJe trouve aussi...
SupprimerMais visiblement notre avis n'est pas beaucoup partagé... :(
Une découverte pour moi...
RépondreSupprimerL'"école de Brive" avant lettre ?
Un Henri Vincenot avant l'être ?
Je ne sais pas...
SupprimerÇa oscille entre le roman par la tonalité (comme dans cet extrait) et l'étude historique et sociologique...