jeudi 10 février 2022

anéantir, suite et fin

 


Je viens de terminer la lecture du dernier roman de Michel Houellebecq, et aux toutes dernières pages, celles des remerciements, je tombe sur cette phrase :

"Au fond, les écrivains français ne devraient pas hésiter à se documenter davantage ; beaucoup de gens aiment leur métier, et se réjouissent de l'expliquer aux profanes. Je viens par chance d'aboutir à une conclusion positive ; il est temps que je m'arrête.*"

Ces derniers mots, compte tenu de la noirceur d'anéantir, je ne sais comment les interpréter, quel sens leur donner : est-ce tout simplement son dernier roman ?

 J'ai eu du mal à terminer ce livre : plus que tous ses précédents, si c'est possible, celui-là a le don de nous mettre le nez bien profond dans notre caca, de nous faire regarder la mort bien en face. En général on n'y tient pas vraiment, quand il nous arrive d'en parler on passe rapidement à autre chose. La finitude ça plombe les soirées, ou alors faut aborder le sujet avec deux grammes, pour en rire plutôt qu'en pleurer. 

J'ai lu quelque part qu'il y avait deux romans dans "anéantir", et que l'on ne connaîtrait jamais l'épilogue du premier. Je ne suis pas de cet avis : M-H n'est pas John le Carré et les attentats perpétués aux quatre coins du monde par une organisation a priori sataniste ne sont que le bruit de fond de l'époque ; les motivations de ces terroristes sont assez secondaires, juste un élément du décor où se déroule l'action (la campagne présidentielle de 2027), comme nous avons eu à connaître des attentats sans que la vie (et la mort) ne s'arrête. D'ailleurs nous serions bien incapables d'établir une liste complète de ces attentats, que M-H évoque au dernier quart du livre. Nous savons que des "fous de Dieu" nous en ont voulu à mort et nous en veulent encore. C'est même devenu notre écume des jours. En dépit de ces échos du monde, le récit de la vie de Paul est parfaitement linéaire, et le sujet de M-H est bien la mort, la mort toujours recommencée, qui est partout chez elle, des monts du Beaujolais au golfe du Morbihan en passant par Arras ou les jardins de Berçy. On se dit qu'elle fait très bien le travail toute seule, qu'elle n'a pas besoin d'auxiliaires empressés : elle a un sérieux background. On pense à ces mots de Brassens : Car, enfin, la Camarde est assez vigilante elle n'a pas besoin qu'on lui tienne la faux. Anéantir c'est son affaire : anéantir les amours renaissants, anéantir de désespoir : il lui suffit d'un petit AVC, d'une corde ou d'un cancer, elle a tout un arsenal à sa disposition, la mort. La seule façon de la vaincre serait de ne plus donner vie.

Oui "anéantir" est bien un roman crépusculaire, sombre comme un jour de novembre et, qui sait, peut-être le dernier de Michel Houellebecq.

 * Me reviennent en mémoire les derniers mots DE CE BILLET.
 

27 commentaires:

  1. Le Panthéon, vous disais-je ! Et le plus tôt sera le mieux !

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    1. Décidément vous ne "l'aimez pas" ce Houellebecq... 😁

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    2. Il doit bien y avoir quelques fleurs mortes à arroser en ce lieu crépusculaire...

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    3. Arf...
      À la fin du livre il y a beaucoup de feuilles mortes en tout cas, qui ne demandent qu'à pourrir...

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    1. Ah ah ah ah ah ah ! 😁😁😀👍
      Elle est excellente celle-là !

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    2. Sinon realist je livre trois titres dans lesquels vous pouvez puiser sans risque de déception :
      - Plateforme
      - Soumission
      - La carte et le territoire

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    3. Sérotonine peut remplacer "La carte et le territoire".

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    4. Pas trop sûr qu'on puisse échanger des références de lecture:
      - La Pensée et le Mouvant, Bergson
      - Possession et Chamanisme, Bertrand Hell
      - Yi king, Le sens originel, Kerson Huang
      ...

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    5. Même pas un petit Précis de Grammaire...

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    6. Cette remarque m'est destinée ? 🤔🙄

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  3. Bon, je ne l'avais pas encore acquis, j'hésitais, je ne sais pas pourquoi ayant apprécié tous ses livres précédents.
    Mais votre critique, bien que dénonçant une profonde "sombritude", m'incite à larguer quelques euros.
    Vous réclamerez votre commission à M.H.

    Le Page.


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    1. Attention ! C'est pas joyeux joyeux hein !
      Viendez pas vous plaindre après 😊

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  4. Je l'ai pas lu...
    mais vous êtes sûr (et sûr·e·s) que ce n'est pas un bouquin délassant face à une réalité assez "crépusculaire", comme vous dites ? Ah, bon...!


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  5. On peut voir les choses comme ça...
    C'est vrai que l'idée de la mort est assez délassante quand on y songe...
    M'enfin quand même !

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  6. Je ne sais si je rendrais service à quiconque en reprenant la parole au moment où les spécialistes de Houellebecq se font porter pâle, mais je suis très étonnée que vous n'ayez pas cité "Extension du domaine de la lutte" qui est finalement le seul roman de Houellebecq qui m'ait vraiment bluffée. Les autres répondent assez bien à une phrase que j'ai rencontrée hier et que je vous livre : "...On va bien les abrutir aussi, les flatter sous la ceinture, les rendre tout à fait dégénérés..."
    Programme en bonne voie de réalisation!

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    1. Je suis moi aussi étonné que, par exemple, un Didier Goux n'ait pas jugé bon de donner son avis sur ce modeste billet...
      Bizarrement je n'ai pas été séduit plus que ça par "Extension du domaine de la lutte". Le premier roman de Houellebecq auquel j'ai vraiment accroché, c'est "Plateforme".

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    2. Oncle Fredi
      Je viens de finir le 易经 sans le filtre obscur des traductions approximatives qui en furent proposées. Je pense que c'est un réservoir de sagesse acide qui tient à l'écart les dégénérés et les demi-crétins comme le vinaigre ferait des mouches.

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    3. On peut dire que vous aimez les jeux de piste Léon !

      Le Yi Jing est l'un des principaux classiques chinois, et l'un des ouvrages les plus importants dans l'histoire de la culture chinoise. Il a suscité de nombreuses réflexions, sa symbolique (trigrammes, hexagrammes, diagrammes) a exercé une grande influence et se retrouve couramment dans la société chinoise. Ce classique a également une grande importance dans les pays voisins de la Chine qui ont reçu son influence (Corée, Japon, Vietnam). Il a également reçu un écho en Occident, en dehors des milieux académiques, notamment dans les milieux artistiques et chez les personnes intéressées par l'ésotérisme.

      Je parierais que la lecture de Houellebecq est plus aisée, en tout cas pour moi...

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  7. A France Inter et France Culture ils n'ont pas aimé le livre. C'est bon signe.
    Et ils ont dit que c'est ridicule parce que l'auteur abandonne tout à coup l'histoire des attentats et qu'on ne saura pas qui a fait ça.

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    1. Et ils ont dit que c'est ridicule parce que l'auteur abandonne tout à coup l'histoire des attentats et qu'on ne saura pas qui a fait ça.
      Et bien à mon sens, comme je le dis dans mon billet, c'est une connerie car ce n'est en rien le sujet du livre, juste un bruit de fond.

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    2. On ne peut évidemment pas qualifier cela de "bruit de fond", dans la mesure où, dans le premier quart du livre, on ne parle que de rien d'autre que ces attentats et cette "conspiration" ! Ou alors, il faudrait admettre qu'on ait, durant cent cinquante pages, un " bruit de fond" et… rien d'autre.

      Cela me troue le cul d'être d'accord avec les répugnants guignols de France Inter et Culture (je pense qu'une cellule de soutien psychologique ne me serait pas inutile dans les jours à venir…), mais ils ont d'après moi raison.

      M'enfin, on verra ça de plus près à la relecture, d'ici quelques mois…

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    3. C'est un malentendu m. Goux. Pendant 150 pages on vous décrit la vie de Paul, haut fonctionnaire à Bercy embarqué dans une campagne présidentielle, mais le vrai sujet du livre ce sont les emmerdes à répétition qui vont lui tomber dessus. Quand cela vous arrive j'imagine que le monde se rétréci à soi et pas beaucoup plus et qu'une guerre nucléaire pourrait éclater qu'elle ne resterait qu'un "bruit de fond".
      Vous avez tort avec France Inter, c'est malin...

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    4. Si vous voulez c'est la vie de Paul prise dans un entonnoir. Ça commence en large et ça finit comme vous savez...

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  8. Pour cette dernière phrase, il faut peut-être la prendre au 1er degré : il donne juste un bon conseil amical à ses collègues écrivains et félicite les médecins spécialisés pour leurs compétences et leur dévouement ...
    Si il veut finir sur une note positive, il est temps qu'il s'arrête avant que son naturel revienne au galop !

    En tous cas, si vous avez raison sur son état de santé on ne va pas tarder à le savoir: MH est déjà pas mal délabré (en apparence) et avec ses excès (cigarette, alcool...) il a choisi pour
    son personnage un petit cancer bien plausible pour lui-même et susceptible de l'anéantir !
    Mais mon intuition (féminine) me dit qu'il n'a pas dit son dernier mot...

    Au fait, moi j'ai beaucoup aimé anéantir.

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    1. un petit cancer bien plausible pour lui-même et susceptible de l'anéantir !
      C'est exactement à cela que j'ai pensé !

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Lâchez-vous ! Mais en gens bien élevés tout de même...