vendredi 21 janvier 2022

Le chef-d'œuvre de Michel Houellebecq

 


Je suis en train de lire le dernier roman de Michel Houellebecq, "anéantir". Mais, contrairement à ses précédents, je n'accroche pas. C'est comme une éponge qui aurait trop servi, qui ne gratterait plus. Ou un ami que l'on connaît depuis trop longtemps, que l'on continue de voir, par habitude : on l'écoute d'une oreille distraite et indulgente, comme on le fait avec un vieux pote qui radote, qui perd parfois le fil de ses pensées. On connait tout de ses ressorts narratifs, psychologiques, de ses astuces : les ressorts grincent.

Il est là, à la table de la cuisine, dos à la fenêtre. Sournoisement, dehors, la nuit est en train de tomber.

- on...

On attend...

- on a tort de dire que toutes les chattes se valent...

C'est reparti...

... il n'y a rien de moins vrai. Il y a celles qui ont un petit goût sucré, sont volontiers participatives, savent se contracter au bon moment. Et il y a les autres, la grande majorité des autres, prêtes à l'emploi, qui n'ont aucun goût sinon celui de l'urine, qui se laissent prendre avec indifférence. Tu... tu vois ?

Sa tête s'affaisse. Il s'endort. Dans le silence de la cuisine, on entend distinctement un léger sifflement, celui de son emphysème tabagique. Une stalactite de morve commence à poindre sur le bout de son nez, grossit, va tomber sur son pull Uniqlo. Elle est tombée. Les minutes passent. Je vais raviver le feu qui se meurt dans la cheminée. Soudain, dans un spasme d'apnée du sommeil, je l'entends qui se réveille.

- je me suis assoupi...

-......

- tu sais à quoi j'ai rêvé ?

- à une chatte ?

- naaan... à une choucroute... c'est con de rêver d'une choucroute ici non ?

- mais nous en avons une de choucroute ici ! Une "Monoprix Gourmet" que je garde au cas où au congel. Si tu veux je la prépare tout de suite.

- il y a le Riesling qui va avec ?

- Non. Juste un Chardonnay du pays. On fera avec. Mais rapproche-toi du feu : il fait glacial ici.

 Il se lève. D'un pas traînant il entreprend la traversée du salon. Il a le cul efflanqué qui nage dans un vieux jean C&A trop grand pour lui. Je mets à réchauffer la choucroute, y ajoute un verre de blanc, quelques baies de genièvre écrasées et le rejoins.

Il mastique un bout de Strasbourg, se découpe un minuscule morceau de pomme de terre, pique la Montbéliard puis y renonce, dépose son assiette sur la table voisine, croise ses jambes, absolument ravi du moment, allume une Dunhill.

- quand-même faut bien reconnaître qu'ils ont fait des progrès énormes en matière de plats cuisinés. À quoi bon désormais aller chez Bofinger ou chez Jenny quand on peut avoir tout ça pour 5,99 euros au Carrefour-Market du coin ?

- chez Jenny personne n'ira plus...

Il jette sa cigarette dans le feu.

- tu sais à quoi je pense ?

- à une chatte ?

- naaan... à notre virée en Irlande, tu te souviens ?

- Et comment ! Galway, la Chaussée-des-Géants, le Connemara, le Temple Bar... et surtout ce bar à Clifden... quelle ambiance, quelle joie de vivre ! Cet orchestre, ces chants celtiques, et la Guinness qui coulait à flot ! L'odeur de tourbe... Si je me souviens... Comme je me souviens DE LA TRAVERSÉE...

- et la serveuse ? Tu te souviens de la serveuse ? Une rousse à la peau de lait admirable. Elle t'avait tapé dans l'œil celle-là non ? Tu l'aurais bien baisée pas vrai ?

- oui... Mais avant j'aurais compté une à une ses taches de rousseur, caressé du bout des doigts sa bouche rieuse, plongé dans ses yeux si pleins de vie.

- compter ses taches de rousseur ! Ah tu t'y connais toi en préliminaires ! Tiens ! Si tu m'y autorises je mets ces mots dans la bouche de l'un des personnages de mon prochain roman !!! Mais tu sais, vingt ans après, elle a dû bien changer ta petite Irlandaise...

- parce que tu comptes écrire un autre livre ?

- .........

- tu comptes encore écrire un livre ?


8 commentaires:

  1. Bon ! Pour le Nobel ça me paraît raté ! Mais il pourra toujours compter sur le Panthéon : il paraît qu'il n'y a pas assez d'écrivains au Panthéon !

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    1. il paraît qu'il n'y a pas assez d'écrivains au Panthéon !

      Surtout des écrivains post-1789 !
      Ceux d'avant cette date sont interdits de séjour au Panthéon, temple laïque et révolutionnaire...

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  2. Je n'ai pas lu, par contre je me suis abonné à "la Furia"...
    C'est bien aussi.


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    1. ..voir ma page d'accueil : colonne de gauche ("C'est pour qui, la démocratie ?")

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    2. Vu !
      Quant à la réponse...

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  3. Je devrais vous demander des droits, pour le titre…

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Lâchez-vous ! Mais en gens bien élevés tout de même...